• Cette famille, celle d’Ingrid, ne m’aimait pas. Elle n’aimait personne qui ne soit de son sang, cette famille.
    Ingrid en était le canard boîteux, celle qui s’intéressait aux autres, aux étrangers.
    Sa famille pratiquait le rejet de ce qu’on appelle « les pièces rapportées «.
    Lorsqu’Ingrid est morte, ces gens ont fait du jour au lendemain comme s’ils ne m’avaient jamais rencontré, comme si Ingrid avait toujours été célibataire, même après vingt années de vie avec moi.

    Je n'ai jamais eu ni conflit ni souci avec eux car ils ont tout fait pour qu'on ne soit presque jamais en présence .

    Ils ne se sont jamais dérangés pour visiter Ingrid mourante sur son lit d'hopital, lui faire plaisir, la réconforter, durant son séjour au CHU cet été 2006, car ils savaient que j’étais auprès d’elle quotidiennement et préféraient m’éviter que de la rencontrer.

    Dimanche  1er  Novembre  2015  ( Vers 19h15 )

     


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  • Je crains que demain ne soit comme aujourd’hui : que le goût de ma journée ne soit celui d’une eau boueuse, marron et grise, sortant du robinet du temps.

    Lundi  2  Novembre  2015  (  Vers 1h30  du matin )


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  • N'avoir que soi-même comme compagnie la plupart du temps n'est pas du plus joyeux.


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  • Je me souviens que je devais sans cesse jouer le papa funambule pour essayer de faire en sorte que mes petites filles soient heureuses comme les autres, en dépit des orages qui leur tombaient dessus malgré la force de ma protection.

    Le papa funambule, c'est celui qui tient en équilibre instable entre la misère imposée par une épouse bipolaire et deux petites filles en souffrance à cause de leur mère.

    Cela fut très épuisant pour moi : essayer de conserver à ses enfants le goût du bonheur qui leur était souvent assiégé par une diseuse de mauvaise aventure.


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  • Parfois je suis allongé, en plein après midi,  et en fermant les yeux l’image obsédante d’Ingrid vient se caler sous mes paupières.

    En boucle un acte qu’elle faisait ( par exemple touiller une sauce, car elle avait la passion de la cuisine ), elle se tournait vers moi et de loin m’envoyait un baiser, faisant claquer ses lèvres dans le vide.

    Cela tourne en rond et avant de m’éveiller ( car je m’endors pendant ce film en boucle ), cela s’est montré jusqu’à trente fois de suite.

    J’ouvre les yeux et je pense :
    - Comme elle me manque. Comme elle me manque. Comme elle me manque.
    Jusqu’à trente fois de suite.

    Puis je me rendors.

    Jeudi  5  Novembre  2015  ( Vers 19h40  )


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  • Le frère d’Ingrid, elle m’en a parlé pour la première fois en ces termes :
    - Mon frère, il vole des camions.
    C’était avant que nous ne sortions ensemble, Ingrid et moi et elle me disait cela par provocation.
    Mais c’était vrai.

    Son frère autrefois s’était fait attraper au Maroc car il convoyait un camion volé à Paris,  pour le revendre.
    Il avait été condamné, là-bas, à plusieurs mois de prison.

    Quand je l’ai rencontré j’ai tout de suite compris que c’était un individu peu recommandable, un voyou, rien à voir avcc Ingrid, sa soeur.
    Il passait son temps à menacer, à sous-entendre qu’il pourrait devenir dangereux si on le contrariait. Il essayait d’intimider tout le monde.

    Avec moi ça ne fonctionnait pas car Ingrid m’intimidait plus que son frère.

    Il a passé sa vie à voler des voitures, à les retaper à neuf dans son atelier, à ne jamais rien déclarer aux impôts. A cinquante ans, il vivait encore chez ses vieux parents.
    Quand Ingrid leur rendait visite, là-bas à Paris, elle revenait en larmes car son frère passait beaucoup de temps à l’insulter en hurlant, il la traitait de putain du gouvernement, ça l’avait pris peu à peu cette rage et cette violence, il ne faisait même plus semblant d’être sympathique.

    Quand Ingrid a passé ce long été brûlant à l’hôpital, avant de mourir au mois de Septembre 2006, il n’est jamais allé lui rendre visite.
    I

    Il s’est dérangé à ses obsèques et a refusé de me serrer la main en maugréant :
    - Je ne te saluerai pas car tu as passé toutes ces années à essayer de séparer ma soeur de sa famille.
    Il m’a déclaré ces horreurs tandis que le cercueil d’Ingrid brûlait au four du crematorium.

    Il est mort d’un accident de voiture, quelques années plus tard.

    Chez lui, on a retrouvé des dizaines de DVD pornos qu’il regardait en se branlant sur le canapé du salon de ses parents défunts. Le sol était jonché de centaines mouchoirs de papier qui lui avaient servi à essuyer son sperme, mois après mois, année après année.

    Lundi  9  Novembre  2015  ( Vers 23h  )


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  • C’est un 11 novembre, il y a cette petite brume comme si même la météo voulait respecter une tradition de deuil militaire.
    C’est un jour férié et Blandine travaille toute la journée jusqu’à 22 h à l’HP.
    Donc moi je suis tout seul toute cette longue journée, sans véhicule pour changer d'air,  dans un quartier sans animation, les gens bouffent les uns chez les autres, en famille, ça se voit à toutes ces voitures garées partout.

    J’ai heureusement de quoi faire : continuer à rédiger mon prochain livre, continuer à examiner des manuscrits pour une maison d’édition de polars.

    Et puis en cas de fatigue, regarder, allongé sur le canapé, des vieilles séries américaines, celles qu’affectionnait Ingrid. ( Urgences, Six Pieds Sous Terre, Ali McBeal, Sex And The City, Desperate housewives.... )

    Avec cette sombre sensation d’isolement, de non-existence, cette envie de laisser l’ennui m’envahir et de renoncer à tout.

    « Urgences «, Ingrid et moi avons savouré ensemble devant la télé dès l’année 1996.
    « Ally Mc Beal «, dès l’année 1998.
    « Sex and the City «, à partir de l’année 2000.
    « Six pieds sous terre « à partir de l’année 2004.
     « Desperate Housewives « à partir septembre 2005, un an avant le départ d’Ingrid.

    Le point commun de ces séries est qu’elles étaient contemporaines, ça se passait « en même temps « que la vie du télespectateur, à la même époque ou presque.

     Ingrid ne loupait jamais un seul épisode.

    Pour Urgences c’est parce qu’elle avait une attirance pour tout ce qui approchait la médecine, que ça soit pour la recherche en labos jusqu’aux soins médicaux sur le terrain. Ingrid était une ancienne diplômée de biochimie.
    Pour Ali Mc Beal, je crois que c’était la légèreté et la fantaisie du propos qui l’amusaient beaucoup, d’autant plus que l’héroïne était une jeune femme à laquelle il était facile, pour Ingrid, de s’identifier.
    Pour Sex and The City, c’était le côté excessif et outrancier, coquin, voire salace, des préoccupations sexuelles des femmes. Elles riaient beaucoup de leurs mésaventures, elles ne parlaient « que de ça « et ça plaisait à Ingrid.
    Six pieds sous terre se déroulait principalement dans un établissement de pompes funèbres. La mort était le thème principal de la série. Les personnages étaient torturés psychologiquement, très complexes, souvent borderlines. Ingrid aimait les gens vulnérables, compliqués, sensibles, et là elle était comblée.
    Desperate Housewives : c’est pour la légèreté et aussi parce que des femmes étaient les personnages principaux de cette série qu’Ingrid la regardait, ça l’amusait beaucoup de voir des mères de famille se débattre contre les problèmes quotidiens.

    Ingrid a encore vu quelques épisodes de cette série alors qu’elle déperissait sur son lit d’hopital, puis un jour elle m’a dit :
    - Desperate Housewives, je commence à m’en lasser.... Ca ne m’amuse plus autant qu’avant...

    Il lui restait un mois à vivre quand elle m’a dit cela.



    Mercredi  11  Novembre  2015  ( Vers 14h23  )

     


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  • J’ai quand même, malgré cette longue journée de solitude et d’isolement, eu droit à quelques bribes de paroles à moi adressées.

    Tout d’abord deux petites filles du voisinage ont frappé pour me vendre des billets de tombola scolaire.

    Puis en promenant ma petite chienne, j’ai vu revenir chez elle une voisine qui était absente depuis longtemps et m’a dit être de retour d’un marathon à Hawaï.

    Enfin presqu’à la fin de la promenade de ma petite chienne, voilà qu’un voisin, qui baladait son colley, m’a dit trois mots.

     


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  • C’était l’été où j’étais plongé dans « Fragments d’un discours amoureux «, de Roland Barthes.

    Nous étions allés, Ingrid et moi, passer quelques jours chez une amie italienne qui habitait la ville de Cuneo.

    Nous sommes repartis très vite de chez cette amie car elle avait attrapé un fichu caractère pourri, elle gueulait ses opinions comme des édits, mitraillant avec ses mots ,nous n’avions que le droit d’écouter et de nous taire tandis qu’elle frappait du poing sur sa table pendant les repas, pour marteler ses invectives contre Berlusconi.

    En dehors de la politique, elle ne parlait que de nourriture et là c’était également le cauchemar : recettes, recettes, ceci est meilleur, il est mieux de faire comme cela....
    Et pour terminer l’amie italienne qui était prof à la retraite, sortait au dessert ses classeurs de préparations de cours et nous montrait comment sa pédagogie était la meilleure de son époque.

    Moi je continuais à lire « Fragments d’un discours amoureux « et le contraste entre le style de ce magnifique texte et la vulgarité brutale de notre hôtesse italienne me donna soudain envie de repartir. Ingrid était d’accord car elle ne supportait pas la moindre ambiance de violence.

    Nous sommes partis « à la cloche de bois «, profitant de l’absence de l’Italienne pour charger rapidement nos deux valises et prendre la poudre d’escampette en voiture, direction la France.

    Depuis, j’ai continué à fréquenter assidûment les textes de Roland mais n’ai plus jamais donné signe de vie à cette femme agressive qui nous avait épuisés.


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  • Ingrid elle n’aurait pas supporté le carnage qui a eu lieu le 13 novembre à Paris.

    Elle en aurait fait une véritable dépression nerveuse.

    Elle aurait bu et rebu et aurait payé d’une monumentale cuite le prix de la souffrance.

    Lundi  16  Novembre  2015  (  Vers 18h50  )


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