Dimanche et lundi de Pâques derniers, j'ai passé deux jours chez une très ancienne camarade de lycée, sur la côté normande.
Elle m'a accueilli dans sa maison à la campagne.

Il a souvent plu.

Il y avait trois poules un coq qui se promenaient librement sur la pelouse.
Un chat gras.
Il y avait son fils qui étudie l'ornithologie.
Nous sommes allés sur cette immense plage de sable au pied des falaises.
Il y avait du vent et les vagues étaient hautes et bruyantes.

J'ai conduit pendant 300 km à l'aller et donc au retour.

J'ai pensé qu'elle était gentille, pas isolée ni oubliée de ses enfants adultes, ni de ses amis, comme c'est mon cas. Elle semble vivre plutôt solitaire mais c'est un choix qu'elle a fait. Et elle voit du monde quand ça la chante.

Un bon souvenir que ces deux jours chez elle, pour moi. Nous avons beaucoup bavardé et ri.

Je reviendrai la voir. Nous avons parlé d'une fréquence trimestrielle.

Cela fait depuis février je crois que ma fille cadette ne me donne plus signe de vie.

Sa soeur m’a parlé au téléphone avant-hier ( c’est moi qui appelle car sinon je peux attendre très très longtemps ) et elle m’a dit qu’elle ne savait pas pourquoi, car elles ne parlent pas de moi entre ells ( elles se voient une fois par mois ).

Je suis  chagriné et stupéfait du comportement de ma fille cadette car nous avons été si proches.

Je me demande si son attitude de silence et de disparition de ma vie n’a pas rapport avec sa nouvelle situation de couple...

Je ne sais pas je ne sais pas je ne sais pas je ne sais pas je ne sais pas je ne sais pas

J’essaie de ne pas me laisser envahir par la tristesse et la déprime dans laquelle cette situation lamentable et injuste pourrait me plonger, car j’imagine qu’avec une personne bipolaire il ne faut s’attendre à rien de bon.

Bien entendu je suis toujours sans nouvelles directes venant de ma fille cadette, elle persiste dans son silence mortifère mais je n’interviens pas.
Le luxe des boudeurs des abandonneurs est de pouvoir t’écarter comme l’on fait d’une mouche quand on les sollicite pour un échange.
Tant pis.

J’ai vu une curieuse émission hier soir à la télé, où le Baron Empain racontait la suite de sa vie après son retour de kidnapping par des voyous, qui l’avaient séquestré durant deux mois environ avant de le libérer.

Il avait tellement souffert pendant son incarcération qu’il en était revenu changé.
Son entourage n’avait pas su lui redonner sa place. Peu à peu il s’est senti rejeté, oublié, abandonné, mal aimé.

Bizarrement tous les mots qu’il a employés pour expliquer son ressenti, avec une ironique amertume, sont ceux que j’emploie lorsque je parle de la suite de l’épreuve terrible que j’ai moi-même vécue depuis 2006.

De la vingtaine de personnes qui formaient un entourage chaleureux et présent, il n’en reste plus que trois ou quatre. Les autres n’ont pas su me redonner la place que j’occupais avant qu'Ingrid ne meure.

Comme le Baron Empain, je tiens des propos marqués d’ironique amertume mais il aura bien fallu que je me reconstruise en dépit des abandons.

En fait quand on n'a pas le choix et qu'on ne comprend pas vraiment pourquoi les gens soudain se détournent, on sait que l'on est le point commun de cette attitude partagée.

Et si l'on n'a pas eu de conflit ou de désaccord important avec ces personnes, si on s'est " bien comporté ", il faut chercher ailleurs que dans sa propre personne ou ses propres agissements.

Le seul évènement notable et fracassant qui aura touché ces gens aura été la mort d'Ingrid. Or je fais penser sans cesse a cette mort sans le vouloir, rien qu'en étant là, je rappelle la disparue par mon existence SANS elle.

Ca fiche un malaise en profondeur qui explique peut-être l'attitude de rejet des gens. Je me suis même aperçu que lorsque je fais connaissance de nouvelles personnes, dès qu'elles apprennent le deuil qui est en moi, une bonne partie fait la grimace, comme si j'avais une maladie transmissible.

Ma fille ainée avait vingt ans.

Elle était loin de devenir mère.

Cependant moi j'y pensais et donc sans le lui dire, en secret, j'ai collectionné tous les éléments d'une maison de poupée, afin de les lui offrir pour qu'elle les donne plus tard à son premier enfant, qui naitrait bien des années plus tard.

Aujourd'hui, cet enfant a six ans et il commence à jouer avec les éléments de cette maison de poupée patiemment collectionnés longtemps avant qu'il ne soit conçu.

Ai écrit ceci sur ma page Réseausocial :

"...Je n'ai vu aucun être humain pendant ce long dimanche durant lequel, de 12 h à 22 h, ma femme est absente à son travail. Pas de coup de fil, pas de mails, au mieux un ou deux messages privés FB, aucune visite. Mais bon, faut tenir encore quelques mois à ce tarif minimum syndical...

Ai eu droit à une réponse ( sur 200 " amis " environ ) :

" Protite-z-en pour écrire, la solitude est propice à l'écriture.. "

C'est cela, l'empathie.