• Je me souviens que devant l’insupportable isolement dans lequel la vie m’avait plongé ( isolement relationnel, aggravé par ce terrible deuil, isolement social du à la mise en retraite, isolement géographique, isolement humain, isolement familial..), et m’étant rendu compte que cela durait depuis trop longtemps, je m’étais dis que par Réseausocial il y aurait déjà peut être possibilité d’en sortir un petit peu.

    ( Car je suis combatif, mais ça ne doit pas être suffisant.)

    Après tout des millions de personnes y sont inscrites.
    Des gens ont commencé à m’écrire régulièrement, cela me faisait du bien, j’avais moins le sentiment d’être devenu une presque merde que la planète aurait oubliée.
    Après tout j’étais artiste, créatif, chaleureux, j’avais du langage, de la finesse, j’étais non conformiste, fantaisiste et pas ennuyeux.
    Je constatais avec joie en me connectant qu’il y avait de petits signes, des messages qui attendaient dans ma boite aux lettres.
    Parfois on me faisait signe pour une conversation en live, j’adorais cela.
    Chaque soir je pouvais discuter des heures avec des gens qui avaient l’air d’aimer cela et qui avaient l’air contents de m’avoir croisé, c’était réciproque et cela me réchauffait le coeur, adoucissait l’isolement dans lequel j’étais embourbé.
    Le matin, cela m’arrivait aussi, des échagnes sympas et pleins d’humour et de chaleur humaine.
    Et puis je me suis rendu compte que peu à peu chacune de ces personnes laissait tomber la relation, parfois brutalement ( le silence définitif total du jour au lendemain et jamais d’explications), parfois peu à peu, tout doucement, pour ne pas me brusquer mais pour s’éloigner quand même.
    Je me rendais compte aussi que personne ne tenait la distance, que souvent la relation était trop espacée, irrégulière, je ne m’y retrouvais pas, on ne me donnait pas de repères stables pour les échanges.
    Ce phénomène de « laisser tomber « se reproduisait ponctuellement avec tout le monde, même avec les plus assidus.
    Je commençais à recevoir des messages qui m’annonçaient que je n’en aurais plus « avant une semaine «, et puis la semaine devenait un mois, et puis plus rien.
    Parfois je m’apercevais que j’avais servi de « bouche trou «, qu’on venait dialoguer avec moi ( le tchat’ étant ce qui pouvait rappeler une conversation ) pour passer une demi heure en attendant mieux.
    D’autres fois je m’apercevais qu’on s’était trompé sur moi et qu’on s’en apercevait : je n’étais pas celui qu’on avait cru, béni oui-oui ou admirateur ou flatteur.
    D’autres fois encore j’avais affaire à des « inconstants « des « instables «, des gens « à humeur «. Un coup ils étaient gais et sympathiques, le lendemain ils étaient méchants, amers, ils me faisaient passer à la moulinette de leur aigreur.
    Il y a eu aussi ceux qui relationnaient pour se faire valoir, notamment à leurs propres yeux, il fallait que je m’intéresse à leurs productions ( musique, peinture, écriture ) et rien à l’inverse, comme si mes productions à moi étaient dénuées d’intérêt ;

    Du côté familial, je n’avais rien à attendre, on n’avait presque jamais envie de me rendre visite, on ne me téléphonait que très rarement, et pourtant j’étais toujours gentil avec qui me gratifiait d’un signe. Nous étions à une époque de « Chacun sa gueule, chacun sa merde . «

    Sur Réseausocial, j’écrivais des textes pour tenter de sensibiliser à l’horreur de ma situation.
    ( Car rien n’est pire que de vivre sur une planète surpeuplée, dans une société où l’on aura travaillé et oeuvré toute sa vie, où l’on aura apporté joie et gentillesse aux autres ,et de se voir dans un état d’isolement et d’abandon étonnant, incompréhensible ).
    Ces textes se heurtaient à des silences gênés, ou bien on m’octroyait des encouragements avant de refaire silence, ou bien on me démontrait qu’après tout j’étais responsable de mon isolement, ou bien on me détaillait des vies hyperactives, avec pas une seule minute de disponible pour m’envoyer un petit mot. J’avais même parfois des réponses du genre « Ta solitude est une bonne chose car elle te permet de peindre et d’écrire en toute sérénité «.
    J’avais droit aussi à des ironies, à des moqueries, même. J’avais parfois des commentaires du style « Pour qui te prends-tu ? « ( Cela voulait dire que je ne valais pas la peine qu’on relationne régulièrement et durablement avec moi. )

    J’avais même droit à des « like « muets, des gens qui « aimaient « ma bouteille à la mer.

    Je me suis dit que tout de même j’avais été très actif sur Réseausocial, je mettais plein de photos, je lançais plein de sujets, je partageais, partageais, partageais encore et tout le temps, je me suis dit que j’avais été très généreux en humour, en gentillesse, en commentaires, que j’avais tout bon et tout fait bien et beaucoup. J’avais été « de bonne volonté «.

    Je vivais dans une région où je ne connaissais personne, où les aléas pénibles de la vie ( la mort d'Ingrid ) m’avaient conduit, je vivotais dans une rue toute pleine de maisons et de jardins d’où les gens se saluent de loin mais ne cherchent jamais à se connaître, même entre voisins, où l’on ne se manifeste aux autres que par le bruit d’une tondeuse à gazon ou la fumée d’un barbecue.
    La seule personne qui rompait mon isolement, mon épouse, partait presque chaque jour à son travail et donc mes seules compagnies étaient, pour de longues heures, une chienne, un chat et un lapin nain.
    Je peignais, écrivais et composait des chansons, je ne m’ennuyais pas d’activité, je m’ennuyais de vies humaines, de contacts, je me rongeais de ce manque.

    Je mettais la télévision à fonctionner pour avoir l’impression d’un peu de vie dans la maison.

    Je me suis même surpris, parfois, à parler seul dans ma barbe.

    Mon téléphone restait évidemment muet des jours entiers.

    En fait la vie m’avait fait comme une punition en faisant mourir ma compagne Ingrid, mais  je vivais par dessus ce drame, comme une double peine avec cette solitude imposée, qui au fond en était la conséquence.

    Je me demandais parfois si quelqu’un sur cette planète se posait la question :
    - Qu’est ce qu’il devient, Claude ?
    En fait je me la posais moi même cette question.

    Tout le monde a su que je me rongeais d’isolement, personne n’aura réagi réellement.

    Cette longue épreuve que je viens de décrire m’aura conduit à des pensées peu sympathiques pour le genre humain.
    Je me suis dit un matin : « Laisse tomber Claude, tu n’as rien à attendre des gens, sauf que ce qu’il t’arrive de si long et de si pénible leur pend tous au bout du nez et qu’au moment où tu seras enfin entouré de gens chaleureux et fidèles, comme tu le mérites,  ce sera, pour ceux qui t’auront négligé, le début de leur propre traversée du désert.





    1 commentaire


  • L’avantage d’être si solitaire malgré soi, c’est que l’on a cette liberté de crier dans le désert, de crier CE QUE L’ON VEUT.
    Cependant, je me demande à quoi sert la parole si elle n’est pas dirigée vers une oreille.


    Ne savent pas communiquer. La loi autorise à ce qu’on boude ou qu’on fasse la gueule à n’importe qui. Bon voilà il y a abus de cette possibilité.
    En fait lorsque tu ne fonctionnes pas comme les gens voudraient, te voilà laissé pour compte, ils sont vraiment très durs et pas bien chaleureux. J’aurai bien été en manque d’affection, moi. Après on te regarde comme un malade qui aurait besoin d’un psy.

    Ai revu par hasard une intervention télévisée ( reportée sur Internet ) de mon ancienne prof de fac Colette Privat, 90 ans. Dis donc quelle santé !  elle a répondu à des questions sur le plateau de FR3 Haute Normandie avec tonus et clairvoyance, je suis émerveillé. J’aimerais être dans cet état extraordinaire au même âge qu’elle, dans une trentaine d’années.
    Son cours de l'époque où j'allais à la fac était passionnant : il était consacré à la sorcellerie, notamment à Loudun, j’y allais comme on va au cinéma, elle forçait l’admiration par sa compétence et sa gentillesse.

    Le mari de ma fille cadette m’a mis un message pour me faire patienter, je sens que ma femme a du lui écrire, elle m’a tellement entendu ronchonner à propos du silence des gens que lui s’est senti obligé de me dire qu’il répondrait à mes messages la semaine prochaine. Mais d’abord c’est artificiel, car c’est du à l’intervention de ma femme, je veux bien parier ma chemise sur ce coup-là... Ca sent pas le naturel, tout ça...

    On ne peut mesurer concrètement l’importance que les gens nous accordent dans leur esprit. Mon régime à moi c’est pain sec et eau.

    Comme j’aimerais écrire un journal tout truffé de visites, de cadeaux, de paroles gentilles, d’affection, de conversations nocturnes, de propos culturels, comme j’aimerais rapporter des propos fins et intelligents qu’on m’aurait tenus au lieu de ces jérémiades à la con !


    votre commentaire