Je commence à me demander, vu l’état de mon isolement, qui semble empirer, si je ne ferais pas mieux d’accepter et de supporter cet état, car j’ai l’impression que je risque d’être mis en total échec dans ce combat contre l’oubli des autres.

Je pense aux ermites.

Mais je me dis que les ermites ont voulu leur ermitage.

Je pense à cette phrase : «  Feignons d’en être l’organisateur ... «
Mais j’ai du mal à organiser moi-même mon isolement, car il a commencé par la mort d’Ingrid, qui n’aura pas été organisée.

Ma femme, quand elle a une  journée à passer toute  seule, un dimanche où je sus absent, son fils et sa belle-fille l’invitent aussitôt à venir manger, ils trouvent que c’est bon de ne pas la laisser seule.

Moi pendant des mois, des années, personne ne me propose rien, je suis si souvent tout seul tout seul tout seul.

Pourquoi est ce qu’on trouve que pour ma femme ce n’est pas juste, qu’on a une espèce de compassion pour sa solitud d'une journée qu’elle passerait seule, et que dans mon cas on oublie que c’est pire, que c’est long, que c’est pénible ?

Bien entendu je suis content pour ma femme, qu'on ait cette sollicitude, ça en fait au moins un de nous deux qui n'est pas abandonné ni oublié.

Parfois cela me fait penser à une sorte de misère de situation, de cul-de-sac dont je ne sortirai même pas à reculons.

"...Souhaitons donc, une fois seulement, quelque chose de profondément respectueux, simplement un peu d'attention,  de sympathie pour ces gens, ces milliers de personnes muettes qui ne peuvent pas s'exprimer, sinon par des poses, des façons d'être, des silences auxquels elles sont contraintes qui sont leur damnation...»