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Samedi 11 Juillet 2015 ( Vers 22h15 )
Docteur, expliquez-moi ce qu’est un coeur, comment ça fonctionne et pourquoi un bon dieu de bon sang de bonsoir de jour maudit il cesse de faire son boulot.
Et que cela aura des conséquences terribles sur la vie des gens qui aimaient celle qui possédait ce mauvais coeur.
Le mien m’en fous, Docteur, le mien s’il s’était arrêté ça serait moins grave, c’est la liberté le coeur qui cesse de battre.
Celui d’Ingrid, Docteur, il a fini sa route, il n’a plus fait de bruit, il n’a plus voulu redémarrer.
Et c’est cela que je voudrais comprendre.
J’ai bien compris que cela l’avait menée à la fin de sa vie, tout à coup comme ça sur la cinquantaine, un jour de septembre 2006.
Cela je l’ai bien compris.
J’essaie de remonter l’histoire, de savoir quand est-ce que le coeur d’Ingrid a commencé à défaillir.
Il y a eu des signes.
Première alerte : elle tombe raide alors qu’elle se maquillait devant le miroir de la salle de bain, elle tombe raide par terre tout d’un bloc, sa tête fait « BOUM « sur le sol, les murs tremblent.
Je sors des toilettes et je l’appelle.
Elle a perdu brièvement connaissance, retrouve assez vite ses esprits.
Elle ne sait ce qui s’est passé. Moi non plus.
Nous ne comprenons pas.... Les médecins ils savent, ils expliquent comme ils peuvent, Docteur, mais nous ne comprenons pas bien... On sait vaguement que son coeur s’est mis à avoir des soucis de fonctionnement.
Il me semble que cette histoire de valve tricuspide merdique avait déjà été introduite dans notre univers. Que nous en avions déjà entendu parler au sujet d’Ingrid.
C’était pas tout simple tout facile de comprendre une histoire de valve tricuspide, Docteur, je sais toujours pas de quoi il s’agit.
Une sorte de clapet qui ferait mal son boulot, pas assez hérmétique ?
La porte mal fermée sur du sang pourri ?Ingrid elle a commencé à tomber comme ça raide de temps en temps, n’importe où n’importe quand, au début une fois par trimestre, puis une fois par mois, puis deux ou trois fois la semaine, et là je l’ai faite emmener au CHU de Rouen et elle en est ressortie deux mois plus tard les pieds devant avec plus de vie en elle.
On lui a dit, sur place, de ne pas garder sur elle ses bijoux, elle m’a passé au doigt un petite bague en or .Elle l’avait toujours gardée en souvenir de son père, qui la lui avait donnée, et qui était mort maintenant.
Et aujourd’hui je porte cette bague que je n’ai jamais enlevée depuis ce jour où elle me l’a passée au doigt en arrivant au CHU.
Nous devions nous marier en 2007, donc cela valait la peine qu’elle me passe cette bague, c’était comme un mariage symbolique et d’ailleurs elle est morte.
Elle m’a passé cette bague au doigt en juillet et elle est morte en septembre.
Et elle est toujours morte et encore morte et ça m’étonnerait que ça change.
On l’avait opérée ça avait l’air d’avoir marché, tout le monde attendait que ça reparte bien, c’est pas rien une opération du coeur et nous allions la voir chaque après-midi c’était l’été tout le monde pouvait.
Ce qui nous gênait un peu, Ingrid et moi c’était que nous n’avions pus de vie personnelle, nous n’avions plus de vie de couple, jamais tous les deux ensemble comme nous avions l’habitude, nous étions auparavant un couple qu’on appelle « fusionnel « et là il y avait tout le monde autour, tout le monde venait et nous deux : rien jamais tout seuls.
Elle s’en désolait en même temps nous avions de l’affection pour les autres mais notre vie de couple à deux était empêchée et nous en avions beaucoup besoin, elle comme moi.
Mais nous n’avions rien dit car les autres étaient en droit de venir s’informer chaque jour sur ses progrès et les gens manquent souvent d'empathie et ne pensent qu'à eux, à leurs avantages, sans rien voir des empêchements qu'ils provoquent.
Un jour, dans son lit d'attente, elle a fait un AVC c’est une jeune toubib qui me l’a expliqué dans le couloir, près de la porte de sa chambre, là haut en cardiologie au CHU.Je me souviens que cette jeune toubib avait de longs cheveux ondulés et que cela adoucissait un peu la brutalité de ce qu'elle était en train de m'expliquer.
Elle le faisait calmement, précisément, il n'y avait pas d'affect pour saupoudrer son discours.
Elle m’a expliqué mais je ne comprenais pas bien ce que ça voulait dire, ces mots techniques, Elle disait qu’elle récupérerait peut être « tout «, ou bien un tiers, et.c, je ne comprenais rien, sauf que j’avais un peu eu peur, ça me faisait peur ce mot « AVC «.
Je ne savais pas ce que ça voulait dire, on ne me l’avait jamais dit.J'ai dit à la jeune toubib :
- Comme vous avez du courage de dire de telles choses, des choses si douloureuses, aux gens...Chez moi j’ai regardé sur Internet, « Accident Vasculaire Cérébral «.
Je savais le dire, je saurais le dire, désormais :
- Ingrid a fait un Accident Vasculaire Cérébral.Moi j’ai vu après les explications de l’infirmière qu’Ingrid elle avait du mal à me parler, elle avait une drôle de voix, comme si elle avait bu, c’était lent et geignard.
Cependant elle me reconnaissait, son cerveau fonctionnait bien, je m'attendais à pire.
Puis elle s’est mise à parler bizarrement, elle bégayait, elle cherchait ses mots, elle ne les trouvait pas, elle en prenait un pour un autre, c’était incompréhensible.
Elle avait l’air si fatiguée sur ce lit d’hôpital.
Je suis sorti prendre l’air, allumer une cigarette dehors et puis tout à coup j’ai pleuré, je me sentais angoissé, ma cigarette était secouée par mes doigts tremblants, j’avais déjà vu des gens pleurer à divers endroits de cet hopital, je n’avais pas imaginé que je serais l’un d’eux par la suite.
J’avais comme l’impression qu’un serpent venimeux venait de mordre notre vie et qu’il ne voulait pas lâcher prise.Ces serpents au regard glacé, ils t’attrapent et leur regard est sans âme au fond.
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