• Mercredi 3 Juin 2015 ( Vers 19h30 )

    Je me souviens que le 13 septembre 2006 avait été une journée de cauchemar, dont le parfum m'imprègne encore aujourd'hui.

     Je me souviens que j’étais allé à une conférence pédagogique « cinéma «, mais que bien sûr mon esprit était ailleurs. Je me souviens que j’avais vu cette foule de collègues qui riaient et s’interpelaient avant que la conférence ne commence et je me souviens avoir pensé que j’étais peut être le seul de l'assemblée insouciante, dont la compagne était en train de se battre contre sa mort imminente au CHU.

     Je me souviens que le médecin, le cardiologue habituel d'Ingrid m’avait demandé de contacter le Docteur B, le chirurgien qui avait opéré Ingrid mais dont l'opération avait foiré.

     Je me souviens l’avoir appelé à midi, et voilà qu’il m’annonçait que le pire était à entrevoir. Je me souviens avoir pris cela  comme une massue m’écrasant le crâne, le noir qui tombant en plein jour, je me souviens de ces vertiges, de mes jambes qui se dérobaient, je me souviens avoir posé ma main libre à plat sur le mur et je me souviens que,  moi qui ne sue jamais, j'ai senti un liquide glacé me couler sur la nuque.

    Je me souviens avoir fait mon stoïque quand il m’a parlé ainsi, funèbre, et puis je me souviens être devenu un sanglot, un long sanglot, après avoir raccroché,  j’étais devenu spasmes avec larmes, gémissement, horreur dépassant toutes les idées. Avec ce mot « NON «, qui se répétait à l’infini.

     Et  la fille d'Ingrid m’a appelé depuis Paris, j’ai du lui répéter cette affreuse conversation. Elle s’est trouvée soudain désespérée, et moi aussi. Je me souviens que nous étions désespérés au même degré et ensemble.

     Je me souviens de notre sentiment d’impuissance. Nous étions petites fourmis perdues, inutiles, tout juste bonnes à attendre et à s'encourager mutuellement.

     Je me souviens m’être rendu au CHU en début d’après-midi, et que je m’étais « boosté « pour essayer de faire bonne figure devant cette femme en grand danger de mort, je me souviens que j'avais tamponné mes yeux à l'eau froide pour essayer d'en faire diminuer le gonflement.

     Je me souviens que le Docteur B. m’attrapa par la manche, m’ayant vu passer dans le couloir, plus rassurant, cette fois:

     - Bon, les chirurgiens veulent bien s’occuper d’elle, elle aura priorité pour une greffe de coeur.

    Puis il m’a quitté et je me souviens que quand j’ai retrouvé Ingrid dans sa chambre, elle était courbée en deux, épuisée, je ne voyais que sa nuque et son dos. Je l’ai incitée à s’allonger, puis elle a vomi beaucoup de liquide vert. Je me souviens avoir rincé son bassinet.

    Je me souviens que nous avons pu commencer à parler un peu, sa voix faible, haletante, et je me souviens avoir réussi à la faire sourire pâlement, avec quelques bêtises à nous,  de notre répertoire complice.

     Je me souviens l’avoir  laissée un instant parce que j’ai vu qu’elle s’endormait, et que,  quand je suis remonté, on l’avait transférée en « réa «, et qu'on m’a donné tous ses sacs, toutes ses affaires, que ça faisait macabre d’emmener tout ça sur un chariot de métal, avec pour chaque sac une étiquette à son nom, je me souviens que j'ai tout déchargé dans le coffre de la voiture, dans le parking, tout en bas,  en pensant : " Elle retrouvera tout ça à son retour... ".

     Je me souviens que quand je suis remonté à l’étage on m’a dit que je ne pourrais plus la voir pour ce jour car elle avait fait une sorte de « malaise « et que ça serait mieux de revenir le lendemain.

     Je suis donc reparti chez nous sans me douter que je ne la reverrais plus jamais ni vivante ni morte.

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