• Jeudi 28 Mai 2015 ( Vers 23h55 )

    Pour nous, les enseignants, le mercredi n’était pas un jour d’inactivité. Nous avions des préparations à faire, des réunions pédagogiques, bref nous ne quittions pas le monde scolaire contrairement à ce que beaucoup de gens ( qui prennent les profs pour des fainéants ) imaginent.
    Nos rendez-vous chez le dentiste ou chez le médecin étaient souvent fixés le mercredi.

    J'accompagnais chaque année Ingrid, qui était à la fois ma compagne et ma collègue, dans la même école maternelle que moi,  à son examen mammaire.
    C’était à l’automne, peu après la rentrée des classes.

    Elle y allait en sifflotant et que cela était une formalité.
    Ensuite nous faisions une promenade au marché d'Y., qui se tenait chaque mercredi matin.

     Au laboratoire de radiologie, il y avait une salle d’attente avec des magazines fascistes comme « Point de Vue Images du Monde «, et  donc j’emportais toujours un livre avec moi pour ne pas avoir à feuilleter ces merdes imprimées.

     
    J’attendais Ingrid plongé dans mon bouquin passionnant et que j’étais hors du temps. Chaque fois, l'examen terminé,  elle me posait la main sur l’avant bras comme pour me réveiller et que je sentais son parfum « Shalimar « quand elle se penchait et cela voulait dire que nous pouvions nous en aller.

     Mais il y a eu cette fois où elle semblait plus longue à revenir de l’examen que d’habitude. J’ai commencé à lever le nez de mon livre pour voir si je l’apercevais.

     Il y avait un brouhaha inhabituel dans le labo, je voyais des hommes et des femmes en blouse blanche se concerter en chuchotant, j’ai même surpris des regards brefs tournés sur moi.
    J’ai vu Ingrid, de loin, aller d’une cabine de déshabillage à une autre, et j’ai en un éclair perçu sur son visage l’expression de l’inquiétude.

     Je me suis dit « Ils lui ont trouvé un cancer au sein . « et je me suis imposé d’avoir l’air insouciant pour ne pas en rajouter si cela se vérifiait.

     Tout à coup j’ai vu Ingrid sortir en pleurant du labo et j’ai alors aperçu, par la vitre de la porte d'entrée,  son dos secoué de sanglots, dehors, sur le trottoir.

     J’ai demandé aux dames du guichet d’accueil ce qu’il s’était passé. Je revois encore leurs yeux perdus de crainte. Je me souviens qu’elles m’ont répondu, la voix sombre :

    - Madame vous expliquera.

    J’ai senti mon estomac se resserrer tellement fort sur lui même que cela m’a fait mal.

    Je suis allé retrouver Ingrid au dehors qui pleurait. On lui avait découvert une tumeur au sein.
    Je lui ai dit : « Je te promets qu’au printemps tu reprendras ton jardinage . «

    ( Nous étions au début du mois d’Octobre ) et je l’ai embrassée sur le front.

    - Allons allons, pas de panique !

    Je l’ai emmenée prendre un café et l’ai bercée de paroles optimistes, calmes et rassurantes. Elle  avait décidé de n’en parler à personne dans notre entourage, ni à sa fille ni aux miennes et point non plus aux collègues. Avant Noêl elle avait affronté bravement l’opération, qui s’était déroulée au Centre Henri Becquerel de Rouen, et  plus tard elle avait bravement supporté des séances de chimiothérapie.

    L’opération n’avait quasiment pas laissé de trace, mis à part une toute petite cicatrice, et donc on ne pouvait parler de mutilation.

    Je me souviens qu’au printemps suivant, Ingrid, totalement hors de danger et de souffrance,  s’est remise à bêcher la terre de son jardin.

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