• Je crois que pour faire comprendre à quel point l’isolement s’installe dans une vie comme du béton armé, il faut en parler souvent, chaque jour, à plein de gens.
    Evidemment la plupart vont fuir car c’est comme lorsqu’on parle de son cancer, beaucoup ont envie de fuir, pour faire les autruches.
    Le paradoxe est : l’isolé veut faire savoir qu’il l’est et qu’il aurait envie de ne plus l’être, mais comme il est isolé, personne ne l’entend, ou du moins tout le monde fait semblant de ne pas l’entendre, car cela implique des gestes empreints d’humanité. Il est plus facile de s’attendrir sur un chien abandonné que sur un homme dans l’isolement.


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  • Cela m’aura mis k.o.

    J’ai ouvert des cartons où j’avais rangés, lors du déménagement dans ce patelin trou du cul du monde, des livres auxquels je tiens.
    J’y ai trouvé de bons livres ( dont certains vont faire à nouveau mon régal ) mais aussi un CD avec des photos, notamment deux d’Ingrid s’apprêtant à sortir avec sa classe en cour de récréation.

    J’avais oublié l’existence de ces photos, je me souviens les avoir joyeusement prises, j’aimais tant l’image d’Ingrid et j’aimais tant faire classe avec elle....

    Cela m’aura mis k.o.

    Bon sang je ne me remets pas de ce deuil. Il se réactive si vite par surprise...
    Samedi  27  Juin  2015  ( Vers 15h20  )


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  • Comment fait-lorsqu’on perd définitivement, par décès, une personne indispensable ? Comment fait-on pour continuer à tenir debout, bien droit, à avanver bien droit ? A trouver encore du plaisir ? Comment fait-on ?

    Vous êtes Ingrid et toi comme une forêt, avec tous ces beaux arbres debout et tout plein de feuilles, avec le vent qui fait bruisser les feuilles, avec des taches de lumière qui s’infiltrent entre les branches, Ingrid et toi vous êtes comme une forêt, et puis un jour comme ça d’un coup tu es comme un arbre défeuillé calciné brûlé, au tronc noir et blessé,  qui se tient tout seul au milieu d’une terre noire désolée.

    Le dernier et unique point commun entre toi maintenant et toi avant, c’est la station verticale. Le reste autour et à l’intérieur de toi, le reste est désolé. 


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  • Parfois je me sens encore plus tout seul quand mon corps me refait chier sans prévenir.
    Il y a cette sorte de canicule cette chaleur à faire crever les chacals à faire boire des tonnes d’eau aux éléphants, ça écrase tout, le soleil devient l’ennemi des plantes, des animaux, des hommes, il va jusqu’à cuire les pierres.
    Du coup comme j’ai une circulation sanguine pourrie dans les jambes voilà que ça se met à gonfler et qu’aux douleurs rhumatismales se joignent des douleurs de chaleur, des lourdeurs, des bouillons chauds à l’intérieur du muscle.

    Et puis donc j’aurais aimé en parler au moment où ça arrivait, à quelqu’un qui m’aurait dit :
    - Ben mon pauv’ vieux attends, je vais te préparer ceci ou cela.

    Ces mots-là je me les suis dits tout seul à moi-même et j’ai eu soudain un euréka, j’ai mis des glaçons dans un gant de toilette, j’ai enfilé une chaussette d’hiver et j’ai glissé le gant de toilette glaçonné à l’intérieur, contre l’articulation contre la cheville douloureuse et au bout de dix minutes j’ai ressenti un peu de bien-être.

    Ce soulagement est venu de moi de mon idée de mon initiative, j’aurais aimé le devoir à quelqu’un.


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  • Ainsi donc tu aurais cru attraper au matin

    Cette main que j’aurais enfoncée comme cela entre deux planches disjointes

    Celles de la porte de bois brun, qui était si solide autrefois

    Tu m’aurais attrapé la main

    Lorsqu’elle serait passée par cette fente entre deux bois

    Pour essayer d’éventer l’air ambiant

    De l’autre côté

    Pour dire « au revoir « ou « bonjour « en s’agitant

    Ainsi donc j’aurais encore imaginé pouvoir passer au travers

    De la porte sans l’ouvrir

    Comme le font les voleurs

    J’aurais respiré très fort

    En y collant le nez

    J’aurais dit

    « Cela sent bon au dehors «

    Et j’aurais eu envie de m’y rendre

    Malgré cette porte fermée

    J’aurais entendu

    En y collant l’oreille

    Une chanson imitant le bruit des vagues

    Et j’aurais reconnu que la voix aurait été espagnole

    Tout cela au travers de la porte de bois fendue.

    « Tu n’aurais pas du ouvrir la main :

    Tu as lâché la ficelle

    Et je suis monté trop haut

    Ne sens tu pas que je m’éloigne ?

    Méfie-toi, je m’éloigne

    Je m’éloigne et je m’éloigne

    Et bientôt tu n’entendras plus

    Ma voix ... «

    Je ne suis déjà plus là

    Je ne suis déjà plus

    Je ne suis déjà

    Je ne suis

    Je ne

    Je

    Ceci est revenu

    De loin

    Ceci s’observe

    De près

    Ceci est une feuille rouge

    De loin

    Ceci est une blessure

    De près

    Ceci est la queue d’un écureuil

    De loin

    Ceci est une flamme

    De près

    Ceci est de la pluie

    De loin

    Ceci est une larme

    De près

    Ceci est de la joie

    De loin

    Ceci est un chagrin

    De près

    Ce n’est pas du jamais

    Dont je voudrais parler

    Et non plus du toujours

    Car ça n’existe pas

    Rien n’est jamais toujours

    Toujours n’est jamais rien

    Un peu par-ci par-là

    De quelque chose vague

    Comme une idée furtive

    Sa présence impalpable

    Son parfum évanoui

    Comme les sens oubliés

    Là c’est vraiment jamais

    Là c’est vraiment toujours

    Matins comme des chevaux

    Je grimpe sur leur dos

    Ton dos est un miroir

    Qui chasse la peur du noir

    Noir au fond du café

    Meilleur quand tu le fais

    Les faits sont douloureux

    Je suis quand même heureux

    Heureux comme un pinson

    Sortant de sa prison

    Par un joli matin

    Qui s’rait comme un cheval

    Au galop triomphal

    Que je suis petit !

    Je ne parviens même plus à me distinguer

    Lorsque je marche dans une rue encombrée de badauds,

    Je me perds de vue

    Il faut que je me retrouve avant de rentrer à la maison

    Car je me suis égaré tellement

    Je suis petit !

    Du temps où l’on disait de moi que j’étais petit,

    Je me trouvais grand

    Chaque nouvel acte à ma portée

    Me grandissait

    Mais avec l’âge

    J’ai l’impression de raccourcir

    De devenir petit, si petit !

    Et le temps qui me reste

    Semble raccourcir aussi

    C’est désormais palpable,

    Il me suffit de suivre du doigt

    Le réseau de mes rides

    D’écouter vieillir mon coeur

    Tout ralentit et se précipite à la fois

    C’est troublant

    Comme je me sens petit !

    N’essaie pas d’avaler tout ce sable,

    Ces grandes étendues désertiques

    Où tes sentiments se perdent

    Ne sois pas trop gourmand avec la vie

    Elle est courte, ne la mange pas d’une bouchée

    Déguste le sable

    Envoie du pied des nuages dorés face au vent

    Reçois-les au visage comme autant de caresses

    Respire bien le sable parfumé des errances

    Ecoute la musique des pas qui en écrasent les grains

    Ne t’inquiète pas des traces absentes

    Rien ne te suit

    Rien ne te précède

    Tu auras été un souffle de vie

    La vie de tout le monde28  Juin  2015  (  Vers 20h15  )


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  • Ingrid elle avait été opérée du coeur. Ils lui avaient mis une fausse « valve tricuspide «, une en plastique, comme on dit, mais je suppose que ça devait être en silicone je n’y connais rien et je n’ai pas trop voulu savoir.

    - Je me sens si fatiguée, fatiguée.... Mardi  30  Juin  2015  ( Vers 19h  )

    Elle était héroîque, Ingrid, elle s’était si peu plainte que tout le monde a été surpris qu’elle en fût au point de devoir se faire remplacer un morceau de coeur usé par un morceau de coeur artificiel.

    Ingrid elle avait tout subi tranquillement et même faisait de l’humour, elle avait fait un doigt d’honneur quand je l’avais prise en photo à son réveil, en salle de réanimation.
    Elle avait fait une sorte de masque avec la crêpe qu’on lui avait servie en dessert lors d’un diner qu’elle avait mangé assise sur son lit.

    Ingrid attendait impatiemment mes visites et elle se plaignait que nous ne soyions jamais que tous les deux ensemble, car bien évidemment elle avait chaque jour d’autres visites, sa fille et son compagnon, et aussi ma fille cadette bi-polaire et son compagnon.

    Nous étions cinq donc, moi j’étais bizarrement célibataire en compagnie des autres.
    J’ai eu un ou deux malaises de fatigue, de tension, je faisais semblant de rien mais je m’inquiétais, je pensais au danger qui guettait Ingrid.

    Je trouvais que ses progrès étaient lents et pas bien évidents. Je n’osais en parler aux médecins, je ne voulais pas les embêter, j’ai toujours été comme ça, ne pas oser questionner, le vieux respect ancestral du lumpenprolétaire pour Messieurs les Docteurs et Professeurs.
    Une blouse blanche : respect, garde-à- vous, ils SAVENT. Ils SOIGNENT.


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  • Nous avancions de manière irréversible vers un futur qui m’inquiétait. Ce grand espace sombre piqueté de petits points luisants nous aspirait vers un dénouement : l’idée même qu’il y aurait de toutes façons une conclusion me faisait frémir.

     

    Mercredi  1  Juillet  2015  (  Vers midi  )



    Je crois que j'ai eu et que j'aurai toujours le coeur pur, du moins j'ai essayé et j'essairai jusqu'au bout.

     Ca fait du bien de savoir que des siècles et des siècles après le nôtre, il y aura encore des êtres au coeur pur, comme Ingrid et moi.
    C'est du coeur qu'Ingrid était souffrante.


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  • J’ai vécu ce matin un long moment d' isolement de grande solitude de grand abandon de grand oubli. Cette fois il ne s'agissait pas de moi.

    C’était un vieux, un très vieux, un petit vieux, il marchait à l’aide de jambes complètement bloquées, il glissait à petits coups même un escargot ça va plus vite.
    Une casquette moche et raide sur la tête, l’air buté et triste, il s’était mis en tête d’ouvrir son coffre de voiture, avec une clé qui tourne dans une petite serrure, il se penchait pendant une heure pour saisir un chiffon d’une main toute tremblante, il avait l’intention de remettre de l’huile dans son moteur, il mettait des jours pour faire tourner le bouchon de son bidon d’huile fraîche.

    ( « Nous avons de la chance, nous n’en sommes pas encore là... « )

    Après il y a la honte de se plaindre mais il ne faut pas céder à ces hontes-là : sinon on n’en sort plus et la plainte devient interdite, vu qu’il y a toujours pire que soi.

    La mauvaise foi, c’est de montrer une carte pourrie à celui qui se plaint de son jeu, en lui disant :

    « Tu vois, y’a pire, y’a pire, y’a toujours pire ... « Jeudi  2  Juillet  2015  ( Vers 10h  )


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  • La maison où je passe tout ce temps tout seul avec moi-même.

    Pendant que ma femme  est au travail.

    Je n’attends pas de coup de téléphone, je n’attends pas de message, je n’attends pas de mail, je n’attends pas de visite, très peu de gens, voire personne ne pense à moi en cet instant.

    Tout le monde s’occupe de ses petites affaires, à croire que je n’aurai pas existé assez longtemps ou assez fort pour qu’on se souvienne que je respire et que je marche sur cette planète, la même que celle des oublieux.

    Dans les cas où je sens le vertige qui me prend, une sorte de malaise vagualâme, je mets en bande-son du chant grégorien.
    Cette musique, ces voix qui résonnent parmi des salles voûtées aux murs de pierre, elles imposent une ambiance d’ermitage à la maison qui s’harmonise tout à fait avec ma solitude, mon isolement, mon oubli par les autres.

    Les Choeurs des Moines de l’Abbaye Notre-Dame de Fontbombault.

    Les mots sont en latin.
    Ce sont des sortes de prières chantées, c’est a capella.

    Je n’ai plus rien à voir avec les religions depuis très longtemps mais j’aime l’art religieux en général, surtout quand il s’agit des églises et cathédrâles et du chant grégorien.


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  • Il y a ces vertiges des « retours en arrière «, soudain voilà : Ingrid est là, sa présence plane dans la pièce, des souvenirs me remontent comme de la nourriture indigeste.
    Je me trouve dans une sorte d’ambiance, une atmosphère magique, et quelque chose dans mon inconscient travaille à vouloir me faire l’attendre.

    J’attends Ingrid, je me dis :

    - Ah, dis donc, tu es longue à revenir. Depuis 2006 que tu es partie sans me le dire et nous voici 9 ans plus tard et je t’attends encore.

    Puis je me dis :

    - Imbécile, tu t’es laissé surprendre encore une fois.

    Il y avait de la réalité palpable dans ces souvenirs, souvent il s’agit d’une scène bien précise, par exemple Ingrid devant le miroir de la salle de bain qui se maquille, qui entoure ses immenses yeux bleu-pâles de noir et qui se met du rouge vif sur les lèvres, qu’elle a boudeuses.


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